Le sixième sens
Billet de l'aumônier, Mouvement Vie et Foi, janvier 2023
Les femmes, dit-on, ont un sixième sens. Je ne suis pas d’accord. Non pas qu’elles n’en soient pas dotées. Mais bien toute personne. Quel est-il ? L’intuition ? La sagesse ? L’instinct ? Dans plusieurs milieux – même en pastorale – on parle de flair, ce qui le rapproche de l’odorat qui, dit-on encore, est le sens le plus profond, celui des origines. Je me rappelle qu’un des enfants que nous avons accueilli chez nous n’a pu accepter mon épouse comme « maman » que lorsqu’il a détecté une concordance d’odeurs entre lui et elle.
Ce sixième sens ouvre à une sorte d’aptitude mystérieuse à se tenir intérieurement en veille, en vigilance, et à discerner. Ce qui implique, en parallèle, le travail des cinq autres sens. Mais, ce sens-là m’apparaît plus (d)étonnant ! Il semble n’avoir pas de nom propre ! On lui en prête plusieurs comme s’il se trouvait mal (re)connu, ne se laissant pas approcher aussi facilement que ceux qui nous tournent vers l’extérieur. Chose étrange encore. Avez-vous remarqué ? Il est clairement plus affûté chez les personnes fragilisées, en situation de handicap ou de vulnérabilité.
Il semble qu’il nous relie à un univers assez différent de celui des perceptions extérieures. Plutôt vers un monde enfoui au-dedans, comme le levain dans la pâte qu’il fait lever. Un monde mystérieux, pourtant tout à fait perceptible moyennant l’advenue d’un certain silence. Un monde sans lequel nous serions seulement des animaux. Un monde où les acteurs n’ont plus de masques, où les paroles sourdent autrement. Ne serait-ce pas la conscience ? Voilà un sens tout intérieur qui nous appelle, nous relie à nous-mêmes et nous conduit en liberté, en vérité, comme un GPS… Mais alors ! Dieu qu’il est important qu’il soit bien réglé ! Réglé comment ? Je fais quelques propositions qui peuvent être tout autant de résolutions à faire nôtres ou de grâces à demander : le silence, un temps de retraite, la prière d’oraison, la culture de la fraternité, l’émerveillement, le don de soi, l’action de grâce, la vie dans la simplicité.
Etty Hillesum (1914-1943), une jeune juive déportée dans un camp de concentration durant la deuxième guerre mondiale a ce mot allemand – hineinhorchen – pour parler de cette capacité propre à l’humain d’aller dans ce monde intérieur – où Dieu habite. Un « sixième » sens, celui de Dieu, pour nous mettre sur la trace d’un monde si proche « au bas de soi » où, pour devenir ce que nous sommes – des fils et des filles bien-aimés, héritiers du Royaume – nous sommes invités à entrer dans une intimité plus profonde avec nous-mêmes d’abord puis avec ce « Plus-grand-que-soi ». Pour cela il nous faut, comme les enfants, coller notre oreille à la porte pour recueillir ce grand secret.
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