On ne peut pas ne pas être parents! Certes nous ne sommes pas tous des parents nourriciers et éducateurs d’enfants biologiques, mais n’assumons-nous pas toutes et tous quelque part le rôle de parents? Être un humain sur la terre ne nous rend-il pas être responsables les uns des autres à la manières des membres d’une même famille, qui, apparentés dans et par amour acceptent de se laisser éduquer (ou s’élever au beau sens de « prendre de la hauteur ») les uns les autres ?
Concrètement, je suis témoin de nombreuses situations où la qualité de parents est endossée par des tiers. La mienne d’abord comme papa d’accueil de deux petits garçons qui vivent chez nous depuis quelques années… Certes, toutes ces situations portent en elles-mêmes leur lot d’ambiguïtés et sont potentiellement délicates, mais elles sont le plus souvent assumée d’une manière tout à fait étonnante par les deux parties. La régulation de ces relations – qui implique une asymétrie extra-ordinaire (un fils nommé curateur de ses parents p. ex.) – nécessite parfois le recours à des personnes extérieures qui permettent, par un regard neuf et bienveillant, que la relation ne s’enlise pas ou n’enferme pas. Ces responsabilités – que je rapproche de celles des parents parce qu’elles sont réellement éducatives pour les parties prenantes – sont, au fond, de l’ordre de l’amour fraternel. Elles s’enracinent dans le fait que l’humanité est une famille unie et reliée (1 Co 12, 26) à un Père primordial.
Voici quelques exemples vécus de parentalité élargie : une belle-fille prend le temps d’accom-pagner (ménage, courses, dialogue) chaque semaine une tante célibataire. Un époux devient l’assistant de vie de son épouse en situation de maladie chronique. L’amie de confiance d’un homme en détresse personnelle devient sa curatrice ; un couple et une jeune femme se sont rapprochés au point de considérer cette dernière, très concrètement, comme leur propre fille et de leur assurer un total soutien et assistance. Tant d’autres situations pourraient être citées.
On ne naît pas parents : on le devient. Et je crois qu’en réalité, on ne cesse de le devenir. L’âge n’arrête pas ce processus, mais le transforme et l’achève. Je crois aussi qu’on n’est pas « mis au monde » que par un seul père et une seule mère et que, comme le dit un dicton africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant »… Et finalement, n’est-on pas « mis au monde » tout notre existence par une foule de personnes qui nous réengendrent ?
Dans un épisode assez connu de l’Evangile, le Christ lui-même se fait provocateur ; il veut secouer et élargir notre pensée au sujet des relations et des responsabilités familiales :
Quelqu’un lui dit : « Ta mère et tes frères sont là, dehors, qui cherchent à te parler. » Jésus lui répondit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mt 12, 46-50)
Ces paroles – qui ont pu être ressenties comme dures par les proches de Jésus – n’excluent pourtant en rien les rôles biologiques différenciés et cruciaux de maman et papa ! Jésus nous ouvre des perspectives nouvelles.
Dans un texte publié dans la revue Source (2013), Monique Dorsaz commente ainsi : « Au cercle de la famille dans lequel certains voudraient bien l’enfermer, Jésus superpose un autre cercle formé de frères et sœurs qui se réfèrent à un même Père des cieux. Faire ce discernement, remettre en cause les liens naturels de sang, permet d’éviter de s’enliser dans une attitude mortifère qui empêche l’accueil de la nouveauté de l’Esprit. Un Père qui est notre premier parent : celui qui accueille le Père des cieux, comme son Père primordial, sera amené à revisiter les notions de famille, de frère, de sœur. Est-ce que les deux cercles s’excluent ? Non, Jésus invite tout un chacun à être fils et filles du Père, à vivre ce déplacement. Marie par exemple est de sa famille à double titre. » (1)
Récemment ma grand-maman a intégré un EMS à la suite d’une chute, puis d’une hospitalisation. Avant cet épisode, du haut de son excellente santé, elle assumait le fait que, si un accroc survenait, elle serait « bonne pour le home ». Elle a traversé cette épreuve difficile et s’est montrée capable de s’adapter, au-delà de toute espérance, à des environnements étrangers en quelques mois. Franchement, je l’admire et me mets à son école ! Par sa manière de vivre ici et maintenant, par sa confiance ferme au Seigneur malgré les aléas de son âge, par son détachement complet (elle ne possède plus rien) et sa joie d’être simplement avec moi, je constate que nos rencontres continuent de transformer mon regard. A 92 ans, libre comme l’air, elle ne se gêne pas de parachever à sa façon mon éducation à la vie ici-bas !
(1) https://www.revue-sources.org/qui-est-ma-mere-qui-sont-mes-freres/
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