« Accepteriez-vous de dépendre de juges étrangers ? » : Formulée ainsi, la question appelle une réponse assez rapidement claire et univoque qui ne tarde pas à monter intérieurement en chacun de nous ! Nous aimons l’autonomie – nos propres lois – plus que de raison ! Le dilemme fondamental « autonomie contre dépendance » constitue l’un des plus difficiles que l’humain doive affronter. Nous expérimentons chaque jour à quel point cette opposition est un champ de tension.
L’unité de la communauté des Waldstaetten au 13e s. s’est construite en grande partie à partir de cette volonté, chevillée au corps, de ne pas dépendre du droit ou des jugements d’autrui. Les difficultés de la Suisse moderne à rejoindre des entités supranationales (UE, ONU, etc.) ou l’idée de neutralité soulignent cette volonté légitime d’indépendance. Mutatis mutandis, il en est ainsi sur le plan individuel. Chacun le vit : la réponse à ce dilemme n’est jamais absolue, ni définitive. Elle est une ligne de crête qui sourit à qui sait se faufiler entre les rochers, éviter les congères et utiliser les vents. Ce délicat « slalom » nous pousse à trouver sans cesse des réponses toujours nouvelles, au-delà du dilemme. L’idée d’interdépendance exprime bien le défi à relever pour les peuples comme pour les individus… Être interdépendant, c’est respecter et accepter à la fois l’existence de possibles et de limites.
Tirons un parallèle avec les enjeux d’une vie chrétienne. L’humain est profondément tiraillé entre ses désirs profonds de liberté et d’autonomie et son angoisse d’être « soumis à », de « dépendre de »… Nous nous soumettons difficilement – à juste titre – au jugement d’autrui : les examens, par exemple, sont pour nous toujours un moment crucial… « Juger », rien que le mot fait frémir ! Il a même été éjecté de notre bonne vieille méthode AC… En revanche, chacun se soumet volontiers à lui-même : n’est-ce pas une grossière erreur ? Ne sommes-nous pas souvent les juges les plus intraitables envers nous-mêmes ?
Nous, chrétiens, avons particulièrement conscience que nous serons jugés : nous nous le rappelons à chaque messe. Dieu : voilà un juge étranger autant qu’étrange. « Quoi ! Il nous aime ! » : est-ce bien impartial ? « Il veut nous sauver » : de quoi ? Il souhaite nous soustraire à nos verdicts infâmants sur nous-mêmes ! Empressons-nous donc d’apprivoiser ce juge étrange qui siège en nous et qui fait preuve de tant de patience et de miséricorde. Il avait pris les devants et averti ses amis : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ! »
Pascal Tornay