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Au cœur d’une période charnière et plutôt troublée de l’histoire du 20e siècle qui correspond à la fin des « Trente Glorieuses », surgissent soudain des crises économiques majeures en Occident et de terribles conflits armés en Asie notamment. Au milieu de ces temps troublés par de multiples conflits sociaux un homme prend la parole. Coluche, avec son ironie cinglante, affirme dans un de ces fameux sketchs intitulé « La Misère » (1979) :
Y'a la guerre au Vietnam, y'a la guerre au Cambodge, y'a la guerre en Iran, y'a la guerre en Afrique... Ça s'rapproche, hein ? Mais moi je m’en fous... Je préférais la guerre au Vietnam à la guerre en Iran parce que... elle était plus loin. J'trouvais ça plus sympathique. Regardez les morts en Afrique à la télé, en direct. Poivre d'Abord avec une p’tite chemisette très mignonne :Vous vous moquez de vous-mêmes…
– Eh bien, docteur, ce p'tit enfant a donc la famine et vous n'pourrez rien pour lui. Il va mourir, malgré tout c'que vous lui avez donné comme médicaments.
– Ben oui, vous voyez, euh, l'oeil ne réagit plus, voyez, je l'pince il ne bouge pas... Haa ! Ça y est ; il est mort..."
– Bon ben coupez, elle est bonne.
Aujourd’hui chacun écoute cela avec un plaisir peu dissimulé, tant l’esprit du texte et ses formules décalées sont poussés loin sur le plan satirique. Chacun rit de bon cœur, tant il est vrai que ses propos sont d’une insoutenable stupidité. En réalité, il se joue clairement de nous, auditeurs ou spectateurs. Coluche ne manque pas une occasion de se déguiser en ceux qui se moque de lui, renversant ainsi les forces. Parfaite subversion. En fait, c’est de notre propre (im)posture intellectuelle dont nous rions à travers sa mise en scène. A longueur de spectacle, le voyant discourir au sujet des enjeux les plus graves de l’humanité avec une ignorance crasse et une bêtise assourdissante, on s’entend dire tout bas: « Mais qu’il est con, ce type ! » N’est-ce pas notre propre suffisance, notre vanité qui est mise en lumière et qui nous frappe tant ? « Je dis tout haut, ce que chacun pense tout bas », rétorquait-il souvent aux journalistes.
Chacun connaît Coluche et son combat social – ou socialiste, peu importe : il ne serait entré dans aucune catégorie, comme notre Seigneur Jésus d’ailleurs – en faveur des plus démunis. A l’origine de l’organisation des Restos du Cœur qui perdurent aujourd’hui, Coluche avait le goût et le sens de l’Homme. Son analyse psycho-sociale était largement avant-gardiste et sa vision de l’Homme d’une grande pertinence. Je trouve ses sketchs d’une percutante actualité surtout lorsqu’il traite le thème de la misère humaine avec son costume à bretelle, sa « grosse gueule de con » et sa miche de pain sous le bras. Il en parle comme on en parlerait en sortant de la Migros...
Il est étonnant de voir comment la conscience humaine se protège. Notre rire est l’indicateur que nous avons mis la misère humaine à « une certaine distance ». Evidemment, il s’agit aussi ici d’un mécanisme protecteur et bienfaisant. Sans ce recul par rapport aux nouvelles atroces et aux annonces cataclysmiques qui nous sautent au visage à tout moment, chacun tomberait en dépression ou dans la maladie mentale dans l’heure qui suit.
Côté victimes, je ne parviens pas à comprendre comment ces personnes qui ont vécus de telles catastrophes humaines trouvent encore la force de vivre et de se débrouiller. Je pense notamment aux palestiniens de la Bande de Gaza qui ont absolument tout perdu en une heure après le pilonnage de leur quartier par l’armée israélienne à l’été 2014 (… en représailles à d’autre exactions…).
Côté spectateur, nous connaissons tous des personnes qui se sont séparées de leur TV durant des épisodes de fragilité personnelles en raison d’une incapacité (momentanée ou durable) à supporter le poids moral des images retransmises et des faits relatés.
Soyons honnêtes. Qu’est-ce qui nous pousse à « vivre l’actualité en continu » comme le propose la RTS par exemple ? Quels sont les motifs profonds qui nous entraînent à « suivre les informations » ?
– « Quoi, tu ne sais pas ce qui s’est passé à Paris ? »
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Qu’est-ce que cela peut bien nous faire, si cette « information » vient seulement combler cette puissante et irrésistible « envie de savoir » qui manifeste un piètre voyeurisme, un vulgaire divertissement. Chacun fait sa moue triste : deux p’tits tours et puis s’en vont. Une nouvelle terrible chassant l’autre... Tout est fait pour goûter aux « joies de l’info » tout en étant confortablement assis dans son fauteuil à rallonges comme au cinéma, avec un bon thé menthe encore fumant sur la table. Comme si ce n’était pas notre propre histoire qui se déroulait devant nos yeux ! Nous sommes les membres de ce corps blessé qu’est l’humanité, chers amis ! Nous devrions devenir sensibles, entrer dans une communion de prière profonde, réveiller sans cesse nos consciences, lever les yeux, ouvrir nos mains. Mais, sans une espérance ferme en Dieu créateur et sauveur, ce gavage ne nous conduit nulle part qu’à une indigestion de violence, à la banalisation du meurtre, à l’indifférence envers le prochain, à la peur de l’autre, au repli identitaire, pire, au désespoir social.
L’actualité minute après minute nous tient le cœur et l’âme comme dans une trame théâtrale : « On veut savoir la fin ! » Mais de qui se fout-on, à la fin ?
Pascal Tornay
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En référence, l’ouvrage de Laurent Gervereau, Inventer l’actualité : la construction imaginaire du monde par les médias internationaux, 187 p., Editions La Découverte, Collection Cahiers Libres, Paris, novembre 2013.
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