A l’occasion de la mort de Rosa Moulin (1921) et d’Agnès Abbet (1916) respectivement décédées à l’âge de 89 et 94 ans, je porte aujourd’hui mon admiration sur toutes les grands-mères, ne pouvant pas m'empêcher de penser aux miennes que j'aime tant.
Toutes ces grands-mères que j'ai côtoyées et que je fréquente toujours, ont été comme des cailloux blancs sur mon sentier de jeune fripon. J’ai aimé leur parler et les écouter. Chez elles, pas de verbiage, si peu de gestes. Ce sont plutôt leurs mains et leur visage qui m'ont si abondamment parlés. Les grands-mères du temps présent ont traversé, durant une vie de dur labeur, un siècle de fou ! Elles se sont adaptées à l’impossible. Avec une simplicité toute maternelle, elles baignent l’univers de leur sagesse calme pétrie de la terre. Car on ne peut pas, sans prendre de gros risques, aller plus vite que la terre ! Comme la terre, les grands-mères ont toujours le temps. Elle n’ont même plus que ça. C’est ce qui est si attirant chez elles. Elles se paie le luxe gratuit d’avoir le temps, enfin…
C’est pas trop tôt !
Rosa Moulin-Moulin (1920-2010)
Agnès Abbet-Délitroz (1916-2010)
était la doyenne de la commune de Vollèges.
était la doyenne de la commune de Vollèges.
Ils ne sont plus très nombreux - 5 ou 6 - à être né à la "Belle Epoque" ! Je les admire, ces grands-mères car elles cachent sous leur résignation, une grande confiance en la vie – non sans peurs. Même si c’est la vieillesse qui, au fond, contraint l’homme à laisser la vie faire son œuvre re-créatrice, les grands-mères ont ce quelque chose de majestueux qui rend à leur résignation ses titres de noblesse. Dépossédées de presque tout, elles laissent leur visage buriné étinceler et leur regard silencieux être encore plus perçant. Je les ai écoutées, les grands-mères. C’est vrai qu’elles parlent avec leurs yeux. Ils disent leur solitude et leurs appréhensions, leurs questionnements et leurs espérances. Si tu te mets à leur hauteur, car leur sagesse est humus pour celles et ceux qui sont plantés à côtés d’elles, tu verras que les yeux des grands-mères parlent infiniment. Elles sont si pudiques – on parlait peu autrefois de ces choses intérieures – qu’elles s’expriment par cœurs interposés.
Les grands-mères prient. Je les ai vues. Elles prient énormément. Presque tout le temps. « A part la prière et la messe, on n’a plus grand-chose à faire, le reste, on ne peut plus », clament-elles. Elles ont constamment le souci des autres. A tel point qu’elles ne s’intéressent plus guère à elles-mêmes. Vieillir leur demande de quitter à peu près tout ce qu’elles aimaient autrefois. Elle se réfugie au creux d’elles-mêmes. La prière les décentre, les motive même. Certaines qu’elles sont insignifiantes, les grands-mères, au contraire, portent le monde d’aujourd’hui et lui proclame silencieusement : « Tout passe, accrochez-vous à ce qui demeure ! » Elles sont bien placées pour parler, les grands-mères ! La vie leur a presque tout enlevé : leurs dents, leur force, leur tête même leur fait souvent défaut… A ce moment-là, on n’a plus que les autres pour arriver à vivre. Et des autres, les grands-mères, en ont un souci constant...
Grands-mères du monde entier, je vous admire, vous qui savez laisser si activement la vie prendre enfin place en vous et autour de vous. Au monde égoïste qui appelle si fort notre jeunesse à vous montrer que bien vieillir est un défi aussi difficile que de devenir adulte. Il faut se recevoir d’autrui. Accepter de perdre ! De tout perdre, même la vie ! Vous nous précédez et nous montrez la route.
Devenir vieux, c’est accepter de se laisser déposséder de presque toute sa force physique. C’est ce que vivent les grands-mères. Sans le dire, elles pressentent bien que c’est pour se laisser faire par une vie plus grande déjà en germe dès leur venue au monde. Heureusement, les grands-mères prennent le temps d’accueillir le présent comme il se présente. Et leur confiance est à la hauteur de leur capacité à se laisser encore, une dernière fois, pétrir au creuset de la vie, qui après la souffrance et la mort, rejaillira en plénitude.
Vieillir, c’est apprendre à mourir. Apprendre à mourir, c’est un savoir-vivre ! Voilà un paradoxe avec lequel les grands-mères jonglent jour après jour. Moi, je le sais car elles me l’ont dit. Pas très fort, mais clairement. Je les ai vues s’agripper au fauteuil pour se lever et m’apporter leur boîte à biscuits qui ne se vide jamais. Je trouve les grands-mères bien semblables à leur boîte à biscuits.
Pascal Tornay
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