Aimer - connaître

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Photo de Guy Leroy

samedi 24 avril 2010

Pour les gouvernements, qui prime ? Les structures ou les personnes...

Comme tous les autres gouvernements qui ont connu une crise financière au niveau bancaire ou encore une houle économique liée aux difficultés financières de très grandes entreprises, le Conseil fédéral n'a pas longtemps tergiversé pour venir secours de ces dernières. En effet, ces entreprises multinationales sont si vastes et leur réseau si important que, lorsqu'elles sont en proie à des baisses de régimes, elles peuvent mettre en danger l'ensemble de la stabilité d'un Etat et la vie quotidienne de millions de personnes. En outre, leur poids économique est décuplé par la spéculation boursière qui agite à tous vents leur cash-flow, leur image et leurs bénéfices... L’Etat vient à la rescousse de ces structures pour éviter un chavirement dont les conséquences se répercutent sur toute une population de salariés. Mais l’Etat devrait-il secourir d’abord et plutôt les personnes et les structures économiques ensuite et dans une moindre mesure ?

Une premier argument objectif consiste à dire que la personne se situe en amont des structures. Elle les détermine, et par conséquent, étant à la base de ce qui est décidé et produit dans les structures, c’est la personne – tout au moins l’unité familiale – qui devrait être première servie au niveau d’un plan de secours.

Deuxième argument. On l’a souvent constaté, les grandes structures portent en elles les germes de leur propre perte. Mal gérées, trop vastes pour tenir une certaine cohérence interne, usant de procédés qui favorisent une entropie trop rapide, liées à une oligarchies aux objectifs démagogiques et aux salaires scandaleux, abusant des ressources matérielles et naturelles là où elles sont implantées, ces méga-structures ont pris un pouvoir, un poids économique, politique et financier que certains Etats eux-mêmes peinent à contre-balancer. Cette taille gigantesque est un danger permanent pour la stabilité humaine d’un Etat, surtout s’il est politiquement faible ou corrompu.

Troisième argument. L’aide d’un Etat à une entreprise – comme elle le serait à un individu ou à une famille – doit être très étroitement conditionnée pour ne pas être perçue comme une incitation à poursuivre sans contrôle sur une lancée perverse, si tel en était le cas. L’aide perçue par les entreprises devrait ainsi être proportionnellement contre-balancée par une prise de pouvoir de l’Etat garant ou tout au moins une surveillance de proximité sur le fonctionnement de l’entreprise.

En ce sens, il apparaît proprement scandaleux pour certaines couches de la population de voir l’Etat sauter au secours de structures d’entreprises comme Swissair à coups de millions - que dis-je, de milliards, dans certains autres cas - sans que cette aide énorme n’aie de sérieuses répercussions sur la sécurité financière des ménages qui, par ailleurs, sont souvent les « entreprises » les plus en danger lorsque les crises s’abattent sur les économies nationales. Quand, en plus, cette aide n’a de conséquences positives que celles de prolonger un sursis concordataire, ou de recrépir une simple façade qui favorisera la liquidation, l’incompréhension et la colère n’en sont que plus grandes…

Lorsque l’on touche au secteur bancaire, il semblerait que les gouvernements puissent se permettre encore plus d’audace puisque l’on touche là aux nerfs de la guerre. Les particuliers ne sont pas en reste, et ne critiqueront pas outrageusement leurs dirigeants puisqu’ils ont justement placé leur pécule dans l’établissement qui le leur « garde au chaud » !

En régulant le marché économique par le biais d’octrois de crédits massifs aux multinationales en danger, je crois que l’Etat ne vise pas assez en amont et se contente d’un emplâtre sur une jambe de bois. Certes, à court terme, son action peut se justifier. Mais à long terme, si l’Etat continue de favoriser les « grosses structures », il se trouvera de plus en plus pieds et poings liés avec les mécanismes pervers qu'elles génèrent. Finalement, en soutenant si massivement les entreprises les plus puissantes, je pense qu'il se fragilise lui-même et se met dans une situation où il voit son crédit auprès des populations baisser et sa propre souveraineté politique rongée. Certes, ces grandes entreprises représentent des millions d’emplois. Mais en voyant l’affaire sur une longue durée, je crois sincèrement qu’il est malheureux de miser aussi gros sur ces colosses aux pieds d’argiles, surtout en tenant compte de la folie de la spéculation boursière à laquelle il sont liés !

Je demande : Pourquoi les gouvernements ne cherchent-ils pas d’abord à renforcer et à stabiliser le pouvoir d’achat des ménages et le tissu économique des PME qui sont certainement le ciment économique, social et humain le plus solide d’une société et le moins enclin à la spéculation et auxperversités financières. Les gouvernements travailleraient ainsi à une plus grande confiance de la population dans les institutions, à une plus grande stabilité globale en soutenant plutôt l’initiative, la productivité et la consommation locale.
 
On le voit, l’Etat ne peut pas se passer des intermédiaires structurels. Je crois pourtant que les Etats ne se soucient pas assez des personnes. Si les structures servent les personnes, les structures les étouffent aussi bien souvent. Pourtant, c’est par les structures que l’Etat canalise et contrôle la redistribution des richesses. Je crois que, du point de vue philosophique et humain, la personne a trop souvent déserté les programmes politiques. Le libéralisme trop outrageusement libéral, la spéculation boursière et ses impératifs de maximisation des profits et les très grosses structures accaparent entre trop l’attention des gouvernements. Les méga-entreprises et leurs dirigeants sont trop orgueilleux. Ils fanfaronnent devant les gouvernements et les ménages à coups de bonus mirobolants et menacent tout à coup tout une nation lorsqu’ils ont pris trop de risques ou que leurs investissements se révèlent être du vent !

Gouvernements investissez dans la personne humaine, dans le local, dans les petites choses ! Ainsi vous pourrez être fidèles et justes quand les grandes seront à votre porte !


Pascal Tornay

samedi 17 avril 2010

Pâques 2010 : Dieu aime-t-il Satan ?

Dieu aime-t-il Satan, Lucifer, Belzééboul et les esprits des ténèbres ? En voilà une question ! Spontanément, d'une seule voix, on voudrait s'exclamer que non ! Et pourtant...

Christ est vraiment ressuscité, Alléluia !


dimanche 11 avril 2010

Le besoin de juger autrui

Le Christ et la femme adultère.
SIGNOL Emile (1804-1892)
Conservé au musée du Louvre, Paris
http://www.artbible.ne
Juger signifie étymologiquement – entre autres pistes sémantiques que je ne développe pas ici – « rendre ce qui est juste ». Magnifique retour à une définition-source qui nous détourne d’emblée du poids moral négatif lié au regard d’autrui que nous nommons « jugement » mais qui n’est en réalité qu’un minable préjugé, une mise en accusation sommaire.

Cette acception laisse entendre que la justice est à rendre, comme un juste retour des choses. Retour… Comme si elle s’était perdue dès le départ. Elle laisse entendre aussi que "juger" constitue un besoin fondamental des êtres humains. Cette étymologie invite même à partir de l’idée chaque être humain a, sourdement, le désir d’être jugé, c'est-à-dire que chacun, ressent le besoin qu’on lui rende ce qui est juste ou, en d’autres terme, qu’on lui fasse justice.

En fondant ainsi cette réflexion, chacun pressent que des aspects très particuliers et peu connus de la notion de jugement affleurent ici. Aspects positifs, essentiels, vitaux même. Ces aspects paradoxaux peuvent paraître fous ou utopistes, hors de portée des hommes. Ceux justement qui en auraient tant besoin. En effet, le pouvoir de juger n’est-il pas avant tout une prérogative essentiellement divine ?

Je tiens le jugement tel que je le présente ici comme vital à la condition d’homme. Bon et vital à condition que le jugement soit rendu de manière gratuite, dans l’optique de la justice et du bien, dans la finalité ultime du salut, dans le sens de l’amour et qu’il provienne d’une autorité légitime de par sa position, sa nature et sa crédibilité. Dans ce sens, il est vrai que juger n’est pas donné à tout le monde… Loin s’en faut. De cette perspective, juger est un acte souverain, extraordinairement exigeant et fondé sur l’amour ! Dieu seul peut juger ainsi. Dans cette perspective, nous pouvons être dans une joie inouïe ! Être jugé par l’amour lui-même, n’est-ce pas notre planche de salut ? C’est ce que dit St Jacques :


« Parlez et agissez comme des gens qui doivent être jugés par une loi de liberté. Car le jugement est sans miséricorde pour qui n'a pas fait miséricorde ; mais la miséricorde se rit du jugement. » (Jc 2, 12-13)

Les hommes, eux, se sentent l’âme de juger avec la plus grande facilité ! Le plus souvent sans autorité ni légitimité, sans discernement ni recul, sans pitié et sans amour, sans finesse ni miséricorde. C’est ainsi que les jugements des hommes sont froids et donnent si souvent la nausée parfois même la mort. C’est ainsi que le jugement se meut en un torrent fielleux et mièvre, qu’il est perverti en un outil de destruction massive. La capacité de jugement des humains est ambivalente car il est rongé par l’orgueil : ses sentences ont pouvoir de vie ou de mort sur ceux qu’elles frappent. Blessés que nous sommes tous d’avoir été un jour mal jugé par nos pairs, nous avons tendance à prendre la notion de jugement de manière très négative. Quel gâchis ! C’était pourtant bien parti ! Mais les expériences malheureuses sont là. Nous sommes blessés et nous blessons à notre tour. L’imaginaire humain lié à la notion de jugement est truffé de scènes vécues de moqueries, d’humiliations et de condamnations. Ces jugements qui ont si souvent semés la mort en nos profondeurs ne sont que des traces faussées et des images perverties de ce qu’est le jugement dans son essence divine. Car Dieu juge bel et bien l’homme, mais dans le seul but de le sauver et de le restaurer dans sa dignité.

Cette façon, ce besoin maladif parfois, de méjuger autrui, c'est-à-dire de nous en faire une image négative ou de le considérer comme inférieur à nous-mêmes est profondément enraciné en chacun de nous. Le jugement négatif sur autrui peut naître de nos angoisses les plus enfouies. Inconsciemment le plus souvent, nous plaquons sur les autres des étiquettes qui les classifient de telle manière à les enfermer dans des enclos psychologiques d’où nous pensons qu’ils n’auront aucune chance de sortir pour venir déstabiliser notre système de pensée, de valeurs. Ce méjugement nous donne le sentiment extraordinaire d’exister. C’est ainsi que nous nous plaçons nous-mêmes artificiellement au-dessus des autres en ayant énoncé plus ou moins explicitement tel verdict face à telle personne. Nous nourrissons ainsi notre ego souverain et nous nous enfermons du même coup dans une supériorité totalement illusoire. Supérieurs aux autres certes, mais seuls…

En creusant un peu ce qui se tient tapi derrière ces jugements péremptoires, on trouvera à coup sûr toutes nos peurs. Ces peurs, nées de nos blessures profondes, qui pervertissent notre véritable capacité de jugement, de discernement. La peur nous conduit à mal juger de nous-mêmes et d’autrui. Nos peurs pervertissent ainsi à la fois notre capacité et nos critères de discernement et, par-là, nos jugements eux-mêmes. C’est ainsi que, progressivement, nous nous enfermons dans une sorte de tour d’ivoire que nous croyons solides, alors qu’elle n’est entretenue que par des peurs…

Certes, selon notre fonctionnement conceptuel, nous avons besoin de nous faire une image, une idée d’autrui pour pouvoir l’aborder et entrer en relation. Cependant, ce sont déjà là des jugements – j’entends : une réalité filtrée par notre univers de valeurs personnel. Le plus souvent, ces images ont des conséquences modestes. Le problème se corse sérieusement lorsque ces mauvais jugements s’ancrent en nous sans laisser à l’autre l’espace dont il a besoin pour s’ouvrir et se laisser découvrir. Progressivement, ces préjugés vont bloquer la construction du lien social, car l’autre n’est jamais comme je l’attends…

http://media.paperblog.fr

Notre besoin de juger négativement autrui est profondément enraciné. Il nous faut donc apprendre à regarder véritablement ce qui nous y pousse aussi souvent. Pourquoi un tel besoin de placer autrui, ses rêves, ses actes sur notre balance et vouloir l’y bloquer ? Pourquoi ai-je ce besoin si pressant de l’y mettre, si ce n’est pour être sûr, moi, que je n’y suis pas… Cesser de condamner autrui va me demander d’abord de faire un travail de conscience et de vérité sur qui je suis et ensuite de rectifier (rendre droit) mon jugement sur moi-même. Ne sommes-nous pas les pires juges pour nous-mêmes ?

Si nous voulons juger, alors nous devrons, pour le faire en vérité, rendre à chacun ce qui est juste, à commencer par mon propre regard sur moi-même. Et ce qui est juste doit passer la rampe de la vérité et de l’amour… Pour pouvoir le faire valablement, il me faudra trouver en moi une certaine dose de courage pour abandonner mes peurs (de la différence, du souvenir traumatisant…) et activer en moi la volonté de laisser l’autre être ce qu’il est pour le découvrir tel qu’il est. Donner une chance à l’autre de penser, de vivre, d’être à sa manière est un acte non moins souverain que de le juger. C’est l’aimer.

Alors, juger redevient un acte de relèvement. Je juge l’autre digne d’être ce qu’il est, à sa manière et je juge qu’il est riche de ce que je ne suis pas, de ce que je ne porte pas parce que c’est la Vérité !

C’est ainsi que le pouvoir de juger ira de pair avec une très grande honnêteté avec soi-même, avec une grande capacité à se décentrer de ses propres critères, une grande clairvoyance et un grand courage qui laissent l’autre être autre, qui laissent l’autre avoir sa propre histoire et sa propre logique. Cela ne veut pas dire pour autant que tout est relatif et admissible. La justice s’achoppe toujours à la vérité à un moment ou à un autre. Encore faut-il la découvrir ou, mieux, la laisser émerger en nous…

C’est dans ce contexte que S. Paul demande à ses interlocuteurs de savoir considérer les autres comme supérieurs à soi-même. (2) On voit qu’il ne s’agit pas d’une sorte de fausse modestie, mais d’une noblesse humaine individuelle qui considère l’autre comme également porteur d’une beauté surprenante et d’une vérité étonnante dont il est possible de s’enrichir les uns les autres.

Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés (3), dit Jésus.  Il signifie à ses interlocuteurs de ne pas se mettre à une place qu’ils ne pourront pas assumer le moment venu. Jésus exhorte de ne pas se placer dans une posture de justicier alors que personne, en réalité, n’en a ni l’autorité, ni la capacité, sinon Dieu seul.

Oui, il faut, pour pouvoir juger au sens premier du terme, une intégrité personnelle, une noblesse et une souveraineté telle qu’au final, seul Dieu peut agir de cette manière. Lui qui est amour et vérité, nous jugera donc bien au dernier Jour… Qui a peur d’être jugé par un Dieu qui s’est abaissé par amour pour l’Etre humain, au point d’envoyer son propre Fils pour Le sauver ? Nous avons bien un juge, mais un juge sauveur ! Voilà toute la différence.

Pascal Tornay
Avril 2010

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Notes
(1) Cf. Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne », Ed. Albin Michel / Labor et Fides, Paris / Genève, 1988
(2) Lettre de S. Paul aux Philippiens 2, 3

(3) Lc 6, 37