De plus en plus, je réfléchis en termes de paradoxe, c'est à dire en tentant de conjuguer les aspects contradictoires d'une réalité. Cette manière de penser, de regarder la réalité me plaît beaucoup, car elle me permet de me décentrer. Elle m’ouvre un champ de tensions à vivre, une vie à prendre à pleines mains. Elle dégage un chemin sinueux mais passionnant entre des perspectives antagonistes qui créent un univers fait de polarités. Si je me connais bien moi-même, loin de me déchirer, ces polarités me permettent de mieux me situer, d'avancer plus justement et de conforter ma position à travers elles. Ce champ de tensions me pousse à trouver un équilibre toujours plus solide dans ma vie, dans mes choix. Mais il reste des pièges…
Etymologiquement, le paradoxe signifie ce qui est "à côté (para) de la doctrine (doxa)". Ce qui est en marge de la pensée ; ce qui vient "agacer" la pensée construite ou toute faite... Le paradoxe est un peu le grain de sable dans les rouages de l’intellect humain. (Dieu est parfait dans ce rôle…) Mais tout n’est pas de l’ordre de l’intellect. Dans le poème ci-après – qui date de quelques années et que j’ai quelque peu ré-agencé – le paradoxe est plutôt saisi comme une sorte d’incohérence qui se glisse entre la pensée et l’agir, entre la tête et le cœur. Une division entre la volonté et l’agir des êtres. Cette division entre ce que je sens être bon, ce que je veux faire et ce que je fais peut se rapprocher de l’idée d’hypocrisie. L’hypocrisie au sens étymologique signifie opportunité (crisis) cachée (hypo = en-dessous), c'est-à-dire une sorte de déviance opportuniste qui fait passer le comportement humain du mode oblatif au mode captatif. On passe de « donner de soi » à « prendre pour soi ».
Bien qu’elle ne soit pas toujours conscientisée, l’hypocrisie est bien une pathologie de l’âme humaine qui perd progressivement le sens de la vérité de l’Homme et de la gratuité. L’être humain a un besoin immense de vivre des espaces de gratuité. Ils font cruellement défaut aujourd’hui. Qui peut mettre en doute le fait que sans amour les êtres humains se meurent… L’amour n’est-il pas le sommet de la gratuité ? A l’amour, on n’oppose ni explications, ni arguments !
Le paradoxe est donc vu ici comme l’incapacité à mettre en cohérence la bonne volonté et l’agir. Ce peut être à cause d’une conscience mal éclairée, d’une structure sociale injuste ou de lois iniques, etc. Quoiqu’il en soit, l’être humain, depuis toujours, souffre affreusement d’être divisé en lui-même entre lui-même et une fausse image de lui-même...