« Un peuple analphabète, sans écriture, sans mémoire, est un peuple qui n’a pas d’histoire. » Jean-Marie Adiaffi, écrivain ivoirien contemporain, extrait de "La carte d’identité, Les présents du passé". L’homme qui ne relève pas le défi d’incruster son propre être dans le tout des Autres, qui ne parvient pas à insérer son Histoire dans celle de ceux à qui il s’identifie le plus devient un pauvre hère marginal.
Il devient un être sans raison d’être. Il ne fait pas réellement sens. Ce qui rend toute chose compréhensible, ce qui aromatise l’existence de ces soubresauts d’espérance, ce qui assaisonne les relations humaines de chaleur et d’intensité, c’est ce sens si crucial dont est imprégnée la mémoire collective, c’est de ce matériau que personne n’a jamais vu et qui, pourtant, s’il manque, frustre, lasse, blesse et viole. La mémoire nous offre deux choses essentielles : une existence collective propre et des repères solides. Elle a, en outre, ce rôle vital d’identification, d’intégration à un groupe qui, à travers nos propres expériences, notre propre Histoire, nous fait ressentir ce sentiment d’appartenance à un sens commun.
Avant de parler de mémoire, il faut parler du présent. Si l’homme est un « animal social » , comme le disait Aristote, il faut ajouter qu’il est aussi très profondément dualité. Ainsi, pour exister pleinement, il doit être intensément lui-même et, en même temps, se faire exister par les Autres (si l’on peut dire) pour s’insérer, s’identifier et se percevoir comme faisant partie intégrante d’un tout. L’être humain est dual en ce sens qu’il est constamment la part et le tout dans un équilibre sans cesse remis en cause. Il doit parvenir à (r)établir ce dia-logue (dia = deux, encore…) pour acquérir cette élévation vers Dieu qui lui donne cette dignité. Les hommes sont donc des êtres dialectiques, inconditionnellement relationnels, dont l’existence n’a de sens que parce qu’ils sont en relation les uns avec les autres. C’est par le biais de cette relation, qui passe par la communication sous toutes ses formes qu’ils entrent - et c’est le centre de mon propos - dans ce dialogue avec leur passé commun pour pouvoir réellement et véritablement exister dans ce temps dans lequel Dieu a voulu nous inscrire. Ainsi sont les hommes, le Père l’a ardemment désiré.
Comme je l’ai dit, le chiffre deux à un sens central dans la mesure où il lie le passé au présent ; C’est dans ce temps béni que se tisse, non sans heurts, le projet de mémoire commune. Il y a plusieurs façon de comprendre l’importance de la mémoire collective. D’abord, il faut parvenir à (r)établir ce fin équilibre entre soi-même et les autres. Comme le dit mieux que moi Miguel de Unamuno, écrivain espagnol, la mémoire est à la base de la personnalité individuelle, comme la tradition est à la base de la personnalité collective. A ces fins, à mon avis, la première des choses à prendre garde est de ne pas laisser les individus errer et se perdre dans la nuit du monde démunis de toute arme de défense. Ces armes, ce sont justement cette mémoire collective qui prend sa source dans l’enracinement socioculturel. Les composantes de cet environnement, ce peut être simplement la famille, les Eglises, le quartier, le village, bref, la culture. Il faut cultiver ce jardin, le soigner, car c’est lui qui permet de maintenir cette stabilité morale, culturelle et sociale à l’origine d’une vie agréable.
En outre, dans le cas de la Suisse par exemple, les projets communs élaborés ensemble ont eu le dessus par rapport aux obstacles que semblaient être les barrières linguistiques et culturelles. Il n’a pas été nécessaire de parler une langue commune, ni d’avoir une croyance religieuse, ni de culture véritablement issue de la même source pour que se forme le besoin d’abord, puis la volonté, de réaliser un projet commun. Je conviens que cela n’a pas été facile et que les chemins qui nous ont menés jusqu’ici ont été bien sinueux, mais si le grain ne meurt… Ensuite et surtout, il faut que cette envie, cette volonté de faire baigner un futur incertain dans un solide passé soient partagée, sinon le projet capote. De plus, si le projet commun est rassembleur et affermit la volonté collective en la saupoudrant de rêves et d’idéaux, alors ce futur incertain paraîtra déjà plus rassurant. C’est ainsi que le projet devient un ciment qui soude d’une manière incroyable le destin de familles, de groupes, voire de peuples tout entier. Voilà donc comment le passé rejoint le futur et lui fait l’amour… Tout, alors, prend du sens, tout devient lumière et espérance. C’est ainsi que les chrétiens sont appelés à vivre : dans cette lumière du projet commun où les notions de communauté et de partage deviennent une réalité et donc mémoire commune potentielle.
Vous êtes le sel de la terre dit le Seigneur. Nous sommes donc ce qui donne du relief, du goût et une signification à notre existence d’ici par les liens que nous avons à tisser entre les générations. Notre rôle est de construire du passé avec de l’avenir dans ce moment si éphémère qu’est le présent, temps dans lequel le Père céleste nous demande de vivre intensément. C’est la fabrique où se modèle notre monde et ça peut être inquiétant. Pourtant Dieu nous dit de ne pas avoir ce souci du lendemain. En plus, il nous faut fleurir là où Dieu nous a semés et tenté d’utiliser notre héritage collectif quel qu’il soit pour que les épis portent du fruit. Pour les catholiques, ce peut être l’héritage et la tradition chrétienne ; pour d’autres, ce peut être la tradition juive ou musulmane. Tous nous devons nous occuper de nos propres mémoires collectives, cultiver notre passé pour le réinventer, le ré-interpréter, et en tirer de nouvelles sources d’unité. Cette unité est une puissante force de compréhension mutuelle qui s’ancre dans notre mémoire commune. Elle est celle qui entretient le sens de la vie de nos différents groupes d’appartenances, qui équilibrent l’identité des gens et qui les insèrent dans une structure signifiante de laquelle, je le redis bien fort, il faut prendre soin. Et finalement, cette précieuse mémoire est aussi la source des indispensables repères qui jalonnent l’identité collective et sans lesquelles nous mourrions.
Je m’insurge contre les personnes qui veulent, d’une manière résolue, se tourner aveuglément vers l’avenir en niant leur parcours communautaire, en anéantissant les présents que le passé leur a fait. À ce projet commun qu’il faut confier à chacun de nous pour qu’il le réinvente à sa propre façon, il lui faut un sens, un vrai, un indestructible sens. Je pense que regarder vers l’avenir est chose vaine, si ce regard est dénué de foi en Jésus-Christ ressuscité pour la cause humaine. Cet avenir serait aussi vide que le néant s’il n’était que le rappel d’un souvenir lointain. Cette mémoire, c’est ce que nous sommes fondamentalement, c’est notre identité. C’est pour cela qu’elle nous fait tant nous heurter les uns contre les autres lorsqu’il faut débattre de réformes, de changements. Il nous faut construire solidement notre projet en regardant où nous mettons les pieds, en observant ce que nous avons déjà tracé et ce que Dieu, notre mémoire chrétienne, a défini comme repères, comme balises. En effet, tout ne nous est pas permis, à nous les chrétiens, nous avons une loi à suivre, une alliance à honorer et des structures à respecter. Mais notre monde nous confronte à d’autres projets… Faut-il marier des homosexuels, leur donner la charge d’éduquer des enfants ? Faut-il accepter le concubinage ? Jusqu’à quel point notre Eglise doit-elle évoluer dans son acception du monde ? Est-ce véritablement dangereux pour une société que les relations familiales se dégradent ? Au vu de votre mémoire chrétienne collective, de votre expérience, que cela vous semble-t-il ? Voyez-vous ce qui est vraiment important pour le futur ? Il me semble vraiment que ce soit ce que nous sommes en train de faire de notre présent. Oui, pour tout ce qui a trait au changement, nous en venons toujours à un moment ou à un autre à discuter de notre passé. Mais garons-nous, car maintenant nous savons que l’avenir est entre nos mains !
Pascal Tornay
Il devient un être sans raison d’être. Il ne fait pas réellement sens. Ce qui rend toute chose compréhensible, ce qui aromatise l’existence de ces soubresauts d’espérance, ce qui assaisonne les relations humaines de chaleur et d’intensité, c’est ce sens si crucial dont est imprégnée la mémoire collective, c’est de ce matériau que personne n’a jamais vu et qui, pourtant, s’il manque, frustre, lasse, blesse et viole. La mémoire nous offre deux choses essentielles : une existence collective propre et des repères solides. Elle a, en outre, ce rôle vital d’identification, d’intégration à un groupe qui, à travers nos propres expériences, notre propre Histoire, nous fait ressentir ce sentiment d’appartenance à un sens commun.
Avant de parler de mémoire, il faut parler du présent. Si l’homme est un « animal social » , comme le disait Aristote, il faut ajouter qu’il est aussi très profondément dualité. Ainsi, pour exister pleinement, il doit être intensément lui-même et, en même temps, se faire exister par les Autres (si l’on peut dire) pour s’insérer, s’identifier et se percevoir comme faisant partie intégrante d’un tout. L’être humain est dual en ce sens qu’il est constamment la part et le tout dans un équilibre sans cesse remis en cause. Il doit parvenir à (r)établir ce dia-logue (dia = deux, encore…) pour acquérir cette élévation vers Dieu qui lui donne cette dignité. Les hommes sont donc des êtres dialectiques, inconditionnellement relationnels, dont l’existence n’a de sens que parce qu’ils sont en relation les uns avec les autres. C’est par le biais de cette relation, qui passe par la communication sous toutes ses formes qu’ils entrent - et c’est le centre de mon propos - dans ce dialogue avec leur passé commun pour pouvoir réellement et véritablement exister dans ce temps dans lequel Dieu a voulu nous inscrire. Ainsi sont les hommes, le Père l’a ardemment désiré.
Comme je l’ai dit, le chiffre deux à un sens central dans la mesure où il lie le passé au présent ; C’est dans ce temps béni que se tisse, non sans heurts, le projet de mémoire commune. Il y a plusieurs façon de comprendre l’importance de la mémoire collective. D’abord, il faut parvenir à (r)établir ce fin équilibre entre soi-même et les autres. Comme le dit mieux que moi Miguel de Unamuno, écrivain espagnol, la mémoire est à la base de la personnalité individuelle, comme la tradition est à la base de la personnalité collective. A ces fins, à mon avis, la première des choses à prendre garde est de ne pas laisser les individus errer et se perdre dans la nuit du monde démunis de toute arme de défense. Ces armes, ce sont justement cette mémoire collective qui prend sa source dans l’enracinement socioculturel. Les composantes de cet environnement, ce peut être simplement la famille, les Eglises, le quartier, le village, bref, la culture. Il faut cultiver ce jardin, le soigner, car c’est lui qui permet de maintenir cette stabilité morale, culturelle et sociale à l’origine d’une vie agréable.
En outre, dans le cas de la Suisse par exemple, les projets communs élaborés ensemble ont eu le dessus par rapport aux obstacles que semblaient être les barrières linguistiques et culturelles. Il n’a pas été nécessaire de parler une langue commune, ni d’avoir une croyance religieuse, ni de culture véritablement issue de la même source pour que se forme le besoin d’abord, puis la volonté, de réaliser un projet commun. Je conviens que cela n’a pas été facile et que les chemins qui nous ont menés jusqu’ici ont été bien sinueux, mais si le grain ne meurt… Ensuite et surtout, il faut que cette envie, cette volonté de faire baigner un futur incertain dans un solide passé soient partagée, sinon le projet capote. De plus, si le projet commun est rassembleur et affermit la volonté collective en la saupoudrant de rêves et d’idéaux, alors ce futur incertain paraîtra déjà plus rassurant. C’est ainsi que le projet devient un ciment qui soude d’une manière incroyable le destin de familles, de groupes, voire de peuples tout entier. Voilà donc comment le passé rejoint le futur et lui fait l’amour… Tout, alors, prend du sens, tout devient lumière et espérance. C’est ainsi que les chrétiens sont appelés à vivre : dans cette lumière du projet commun où les notions de communauté et de partage deviennent une réalité et donc mémoire commune potentielle.
Vous êtes le sel de la terre dit le Seigneur. Nous sommes donc ce qui donne du relief, du goût et une signification à notre existence d’ici par les liens que nous avons à tisser entre les générations. Notre rôle est de construire du passé avec de l’avenir dans ce moment si éphémère qu’est le présent, temps dans lequel le Père céleste nous demande de vivre intensément. C’est la fabrique où se modèle notre monde et ça peut être inquiétant. Pourtant Dieu nous dit de ne pas avoir ce souci du lendemain. En plus, il nous faut fleurir là où Dieu nous a semés et tenté d’utiliser notre héritage collectif quel qu’il soit pour que les épis portent du fruit. Pour les catholiques, ce peut être l’héritage et la tradition chrétienne ; pour d’autres, ce peut être la tradition juive ou musulmane. Tous nous devons nous occuper de nos propres mémoires collectives, cultiver notre passé pour le réinventer, le ré-interpréter, et en tirer de nouvelles sources d’unité. Cette unité est une puissante force de compréhension mutuelle qui s’ancre dans notre mémoire commune. Elle est celle qui entretient le sens de la vie de nos différents groupes d’appartenances, qui équilibrent l’identité des gens et qui les insèrent dans une structure signifiante de laquelle, je le redis bien fort, il faut prendre soin. Et finalement, cette précieuse mémoire est aussi la source des indispensables repères qui jalonnent l’identité collective et sans lesquelles nous mourrions.
Je m’insurge contre les personnes qui veulent, d’une manière résolue, se tourner aveuglément vers l’avenir en niant leur parcours communautaire, en anéantissant les présents que le passé leur a fait. À ce projet commun qu’il faut confier à chacun de nous pour qu’il le réinvente à sa propre façon, il lui faut un sens, un vrai, un indestructible sens. Je pense que regarder vers l’avenir est chose vaine, si ce regard est dénué de foi en Jésus-Christ ressuscité pour la cause humaine. Cet avenir serait aussi vide que le néant s’il n’était que le rappel d’un souvenir lointain. Cette mémoire, c’est ce que nous sommes fondamentalement, c’est notre identité. C’est pour cela qu’elle nous fait tant nous heurter les uns contre les autres lorsqu’il faut débattre de réformes, de changements. Il nous faut construire solidement notre projet en regardant où nous mettons les pieds, en observant ce que nous avons déjà tracé et ce que Dieu, notre mémoire chrétienne, a défini comme repères, comme balises. En effet, tout ne nous est pas permis, à nous les chrétiens, nous avons une loi à suivre, une alliance à honorer et des structures à respecter. Mais notre monde nous confronte à d’autres projets… Faut-il marier des homosexuels, leur donner la charge d’éduquer des enfants ? Faut-il accepter le concubinage ? Jusqu’à quel point notre Eglise doit-elle évoluer dans son acception du monde ? Est-ce véritablement dangereux pour une société que les relations familiales se dégradent ? Au vu de votre mémoire chrétienne collective, de votre expérience, que cela vous semble-t-il ? Voyez-vous ce qui est vraiment important pour le futur ? Il me semble vraiment que ce soit ce que nous sommes en train de faire de notre présent. Oui, pour tout ce qui a trait au changement, nous en venons toujours à un moment ou à un autre à discuter de notre passé. Mais garons-nous, car maintenant nous savons que l’avenir est entre nos mains !
Pascal Tornay
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